Ciro Marina est une étape réjouissante, car c'est la Cité du vin: nous découvrons très vite les caveaux où nous voyons scintiller de grands fûts verticaux en alu martelé, aux pieds desquels stationnent de gentilles bonbonnes de 10 litres attendant leur remplissage blanc, rosé ou noir. Pour nous, après dégustation, 10 l de blanc léger comme le vent, 10 l de noir capiteux et monastique. Et nous aimons bien cette petite station atypique où nous sommes le seul bateau en transit, ce qui nous redonne de l'importance après la dure concurrence de Crotone et sa multitude de 50 pieds transocéaniques! Suivent une succession de mouillages si longue que nous les mélangeons tous, sauf celui où la pleine lune s'est levée à droite tandis que le soleil sombrait à gauche, mêlant l'or et l'argent dans un élixir de lumières telluriques! Nous devenons, par ces ancrages solitaires, bientôt hirsutes de mer et demi-sourd en ce qui me concerne: une oreille bouchée par une otite de plaisance. Il devient pressé d'aller se doucher et visiter un bon docteur. Coup de chance, Tarente est notre étape urbaine suivante. Nous y atterrissons à la voile, car c'est le vent qui nous porte dans cette direction depuis quatre ou cinq jours: fini, le satané vent du nord plein-pif! Ici aussi, Marina Sante Egilio, nous sommes le seul navire à voile en transit, tout juste à l'entrée de la vieille Cité, alors que de l'autre côté nous avons le spectacle assez proche d'une zone pétrolière de raffinage très étendue et moyennement puante. Un taxi Mercédès, conduit par un macho à lunettes de course, bracelets et bague sur le pouce nous offre une scène de rupture conjugale par téléphone pendant tout le parcours assez long (10km) pour trouver l'ORL désigné par le docteur Cervo. Ce dernier, généraliste équipé seulement d'une loupe, tel un détective, ne s'intéressait pas à soigner la victime! J'ai eu ainsi droit à une demi-douzaine de lavage d'oreille suivi d'aspiration du conduit assez désagréable mais salvateur: miracolo, j'entends à nouveau, faiblement mais sur la bonne voie. Les antibiotiques lourds prescrits feront le reste. Coincée entre sa zone pétrolière et sa zone métallurgique (la plus grande d'Europe), Taranto est irrespirable. Un immense procès a lieu entre la Justice saisie par les pulmonaires - 30% de cancers au-dessus de la moyenne - et la métallurgie très polluante (soutenue par l'État)qui va se poursuivre devant la Cour Européenne. Déjà séquestrée à 80%, l'usine ne fournit plus que 2000 emplois sur les 12000 du départ. Tout cela à vérifier, car nous le tenons d'un aubergiste éloquent mais qui nous offrait simultanément une dégustation de fine liqueur locale… Il y a un contraste époustouflant dans cette ville entre ses beaux quartiers ornés de palais 1900 style Umberto II et la décrépitude noire de sa partie médiévale (l'île) où il nous semble que les maisons n'ont même plus d'électricité et les gens se nourrissent de sacs de moules dégénérées… mais comme souvent, restent de bon contact, plutôt joyeux, vivant de combines pas forcément racontables.