Quelle situation votre - délégation
a-t-elle trouvée à Beyrouth ?
Jean-Claude Lefort. En deux jours à
Beyrouth, nous avons constaté une catastrophe
totale : humanitaire, sociale, économique. Ce qu’on
peut voir, c’est l’ensemble du pays dévasté, les
infrastructures réduites en poussière ; on a le
sentiment que le Liban est revenu cinquante ans en
arrière. Les bombardements sont permanents. Hier, nous
sommes allés à l’hôpital de Beyrouth, qui reçoit, très
difficilement vu l’état du pays, des blessés, beaucoup
de gamins, des bébés de quelques mois sérieusement
touchés, des gens amputés suite aux bombardements...
Bref, un spectacle effrayant.
Vous avez rencontré de nombreux élus
libanais.
Quel a été le résultat de ces -
discussions ?
Jean-Claude Lefort. Nous avons eu des
entretiens avec toutes les forces politiques, je dis
bien toutes. Au terme de ces divers entretiens, il est
clair qu’il existe une unité de vues au sein de tous les
partis pour un cessez-le-feu immédiat et sans
conditions. La seconde demande est de trouver une issue
politique à cette crise, incluant les divers sujets, la
libération des prisonniers, Gaza, les fermes de Cheeba.
Concernant la résolution 1559, les partis nous ont dit
leur souci d’arriver à une situation où cette résolution
ne serait pas réglée de façon unilatérale et barbare par
Israël, mais par une solution politique intralibanaise
qui pourrait permettre l’inclusion sous une forme ou une
autre des forces armées du Hezbollah au sein des forces
armées libanaises.
Ce dernier point, l’intégration des forces
du Hezbollah dans l’armée, fait-il bien l’objet d’un
consensus ?
Jean-Claude Lefort. Toutes les forces
politiques indiquent que c’est le processus qu’ils
avaient commencé à négocier avec le Hezbollah avant la
crise. Ça n’allait pas sans difficultés, mais les choses
progressaient, au point que l’ONU avait encouragé le
gouvernement libanais à poursuivre dans cette voie. J’ai
posé directement la question aux députés du Hezbollah
que j’ai rencontrés et ils ont, eux aussi, laissé la
porte ouverte à cette solution, étant entendu qu’il faut
trouver les moyens d’une telle incorporation.
Comment les résultats de la conférence de
Rome ont-ils été accueillis ?
Jean-Claude Lefort. De notre point de vue,
la conférence de Rome aurait dû avoir comme objectif
d’obtenir un cessez-le-feu et, à partir du moment où
celui-ci aurait été actif, d’ouvrir sur une perspective
de règlement politique de la situation. Elle n’a
débouché sur aucune de ces deux questions vitales. Pis,
elle revient en vérité à donner du temps supplémentaire
à l’agression. La question que posent nos interlocuteurs
libanais est de savoir quel sera l’objet de la force
multinationale qui a été décidée. S’agira-t-il d’une
force mise en place pour garantir l’application d’un
accord politique - dans ce cas, il n’y a aucune
objection à formuler. S’il s’agissait à l’inverse d’une
force multinationale qui, en quelque sorte, reprendrait
« le sale boulot » opéré par Israël en
direction de la population libanaise, cela aboutirait à
un chaos, peut-être à la guerre civile au Liban.
Justement, comment jugez-vous l’état des
relations intercommunautaires au - Liban ?
Jean-Claude Lefort. Je crois qu’après des
doutes légitimes sur l’action du Hezbollah, la
population sent que ce n’est pas seulement une guerre
contre un mouvement, mais une guerre contre tout le
peuple libanais. Un élément marquant de cette crise est
que les relations entre les communautés se sont
sensiblement renforcées. C’est la meilleure
démonstration qu’il est possible d’affirmer dans ce pays
une forme d’unité nationale, afin de maintenir sa
souveraineté et son intégrité. Tout le monde ici a
compris que la crise au Liban n’était qu’une partie d’un
plan plus vaste de ce que Mme Rice a appelé
« le nouveau Moyen-Orient » - elle a indiqué,
pour bien se faire comprendre, que ceux qui sont contre
ce plan doivent savoir que les États-Unis
l’emporteront... Nous nous trouvons face à une volonté
plus globale et plus sordide des États-Unis et de leurs
alliés locaux, en particulier Israël, de remodeler la
région et de faire en sorte que celle-ci soit sous leur
emprise totale.
(1) Au sein d’une délégation comprenant
sept parlementaires issus
de formations membres
du Parti de la gauche européenne, venus de
Grèce, Chypre, Allemagne, France, Italie, Portugal.
Entretien réalisé par Paul Falzon